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Jeu.04 juillet 201304/07/2013 Dernière édition

Olivier Beaud: «La spécificité française est qu'on n'a pas de véritable pouvoir judiciaire»

|  Par Sylvain Bourmeau

Professeur à l'université Paris 2-Assas, Olivier Beaud éclaire les aspects institutionnels de cette affaire politique. Notamment la question des responsabilités politiques et pénales des gouvernants, jusqu'à la destitution du président prévue par l'article 68 de la Constitution.

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Professeur de droit public à l'université Paris 2-Assas, et directeur de l'institut Michel-Villey pour la culture juridique et la philosophie du droit, Olivier Beaud est l'un des grands théoriciens contemporains du droit constitutionnel et de l'Etat. Il a notamment publié avec Jean-Michel Blanquer un ouvrage collectif intitulé La Responsabilité des gouvernants (Descartes et Cie). Dans un entretien à Mediapart, il éclaire d'un point de vue juridique particulièrement rigoureux les aspects institutionnels de l'affaire Bettencourt-Woerth.

L'affaire Bettencourt-Woerth met en lumière une notion assez méconnue en France, le conflit d'intérêts. Quel regard le spécialiste de droit public porte-t-il sur cette notion?

© (DR)

C'est Yves Mény, dans son livre sur La corruption de la République (Paris, Fayard, 1992,) qui a attiré l'attention sur ce fait que les Français, à la différence des Anglo-Américains, ignorent l'idée d'un « conflit d'intérêts (conflict of interest), c'est-à-dire une situation où l'individu, en raison de “loyautés” cumulées mais contradictoires, doit sacrifier l'un des intérêts qu'il devrait défendre. Loin de s'émouvoir d'une telle situation, les Français ont tendance à régler le conflit potentiel par la concentration des intérêts sur une seule personne, à charge pour elle d'arbitrer selon ses préférences ou de concilier tant bien que mal des points de vue antagoniques» (p. 20).

En droit , la notion commence lentement à s'introduire en France. Elle le fait principalement à partir du droit pénal, et de l'article du Code pénal qui définit ainsi la prise illégale d'intérêts: «Le fait par une personne dépositaire de l'autorité publique [...] de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en toute ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation, ou le paiement.» (article 432-12). Disposition que les sénateurs veulent d'ailleurs modifier et assouplir si l'on en croit une très récente proposition de loi.

On peut dire que cette disposition sanctionne le conflit d'intérêts, le cas où il y a un mélange de genres, une confusion qui fait que celui qui décide ne devrait pas le faire car il a intérêt à ménager une partie des destinataires de sa décision.

En droit public, la notion de conflit d'intérêts commence à avoir un début d'application pour les élus locaux avec les dispositions de l'article 213-11 du Code général des collectivités territoriales en vertu desquelles on peut annuler une délibération à laquelle aurait participé un élu dans cette position de conflit d'intérêts. La même chose vaut pour la délivrance du permis de construire par un maire. Le conflit d'intérêts traduit une très vieille idée: le devoir de probité du fonctionnaire ou de l'agent public (voir C. Vigouroux, Déontologie des fonctions publiques, Paris, Dalloz, p. 84).

S'il y a un début d'application de la notion de conflit d'intérêts en droit administratif, il n'y en a pas, pour l'instant, en droit constitutionnel. La règle semble plus souple pour les gouvernants que pour les agents publics, ce qui est assez contradictoire. Dans la pratique du droit constitutionnel, le cumul règne en maître et c'est probablement cette tradition du cumul des fonctions qui a interdit l'application de la notion de conflit d'intérêts.

Toutefois, plutôt que de songer à recourir à la notion de conflit d'intérêts, on pourrait utiliser déjà les règles existantes et les renforcer, comme le régime des incompatibilités, en particulier les incompatibilités entre fonction parlementaire et fonctions privées. Par ailleurs, la confusion des intérêts pourrait être sanctionnée politiquement si l'on conçoit la responsabilité politique comme un instrument de morale constitutionnelle.

Le principe de séparation des pouvoirs s'applique-t-il plus difficilement en France que dans d'autres régimes démocratiques?

On ne peut pas dire les choses de manière aussi tranchée. Disons que le principe de séparation des pouvoirs a des significations qui varient suivant les régimes constitutionnels. On ne peut pas l'interpréter de la même manière, pour ce qui concerne les relations entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, selon qu'on est dans un régime parlementaire (ce qui reste le cas français, malgré le présidentialisme) et dans un régime présidentiel ou congressionnel (comme aux Etats-Unis).

Là où votre question touche un aspect déterminant, c'est la relation entre pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire. La spécificité française est que, quoi qu'on en dise, on n'a pas de véritable pouvoir judiciaire. On a une «autorité» judiciaire dont l'indépendance par rapport au pouvoir exécutif est problématique. Depuis une vingtaine d'années, on assiste à une lutte très intense entre le pouvoir politique (pouvoir législatif et pouvoir exécutif) et une partie de la magistrature, celle du siège (les juges d'instruction principalement) pour ce qui concerne l'éventuel contrôle des actes commis par les hommes politiques par les magistrats.

Le statut des conseillers du président et des ministres

Les réformes pour rendre le Parquet indépendant ont pour l'instant échoué. Il y a eu quelques victoires de l'autorité judiciaire, notamment la jurisprudence Carignon et Noir de la Cour de cassation qui a, à mon avis, judicieusement décidé qu'on pouvait condamner pénalement des hommes politiques (qui étaient ministres à l'époque) pour des faits délictueux (commis en dehors de leurs fonctions).

Mais d'un autre côté, l'autorité judiciaire n'a pas toujours été en mesure de faire la preuve de l'implication des hommes politiques dans des affaires politico-financières (financement de partis). On lui a aussi soustrait le jugement des membres du gouvernement pour des faits commis dans l'exercice des fonctions (création en 1993 de la Cour de justice de la République).

Par ailleurs, l'acquisition d'une immunité pénale au président de la République, que l'on peut justifier, témoigne parfaitement de la tension qui peut exister entre, d'un côté, le principe libéral de soumission des gouvernants au droit (Etat de droit si l'on veut) et la nécessaire protection des gouvernants pour exercer leurs fonctions de manière sereine.

L'immunité accordée par l'article 67 de la Constitution (révision de février 2007) est très large, et elle couvre le président, y compris pour les faits commis en dehors de ses fonctions. C'est la raison pour laquelle on a inventé comme soupape sa responsabilité politique exceptionnelle (art. 68 de la Constitution, lire plus loin).

Si l'on devait résumer d'un mot la situation actuelle, ce n'est pas en termes de séparation des pouvoirs qu'il faudrait raisonner. Le changement majeur des deux décennies tient à ce qu'on a investi les juges (ou qu'ils se sont investis) de la mission de contrôler la vertu des gouvernants. Mais un tel contrôle, très difficile à mettre en œuvre comme on le sait, n'empêche pas de constater que le principal contrôle devrait être celui de l'action des gouvernants par le Parlement. Or, c'est là que le bât blesse.

On peut donc interpréter cette revendication du pouvoir des juges comme étant suscitée par l'absence d'un véritable contrôle parlementaire. La révision constitutionnelle de juillet 2008 ne semble pas avoir complètement modifié cette faiblesse récurrente du contrôle exercé par le Parlement sous la Ve République.

Dans les enregistrements réalisés par le maître d'hôtel de Mme Bettencourt, on entend aussi le nom du conseiller pour la justice du président de la République. Cela vous semble- t-il là encore révélateur du problème de non-séparation des pouvoirs?

J'imagine que vous vous voulez évoquer une sorte d'intrusion du pouvoir exécutif dans le fonctionnement de la justice. Vous me permettrez de parler uniquement des règles de droit, sans entrer dans le cas particulier que vous évoquez.

Le statut juridique des conseillers à la présidence est peu régi par le droit, tout comme d'ailleurs, je le signale en passant, celui des membres des cabinets ministériels.

Du point de vue de la responsabilité politique, le statut accordé, aujourd'hui, aux conseillers de l'Elysée est très protecteur. Tout le monde connaît leur rôle important voire crucial désormais (songeons à M. Guéant) dans le fonctionnement de l'Etat. Ils sont protégés par exemple contre des investigations menées par une commission d'enquête du Parlement. C'est au nom de cette prétendue irresponsabilité, qui est une extension de l'irresponsabilité accordée au président de la République, que l'ancien conseiller de M. Mitterrand, M. Gilles Ménage, a pu refuser d'être auditionné par une commission d'enquête. Ce cas a fait désormais jurisprudence, car il a été invoqué depuis lors avec succès. Ce n'est pas satisfaisant car «les hommes du Président» sont dotés, de facto, de nombreux pouvoirs, mais n'ont pas la responsabilité qui devrait l'accompagner.

Du point de vue de la responsabilité pénale, il est clair que de tels conseillers ne peuvent pas prétendre à une immunité. Celle-ci est d'interprétation stricte car c'est une dérogation au principe d'égalité devant la loi. Dès lors, les conseillers de l'Elysée, comme ceux de Matignon ou comme les conseillers ministériels sont passibles de poursuites pénales si les faits le requièrent.

Les contre-pouvoirs de l'opposition et de la presse

De quels moyens pourrait disposer l'opposition parlementaire pour faire la lumière sur cette affaire? Vous semblent-ils suffisants et bien utilisés?

L'opposition dispose des «armes de l'opposition» qui ne sont pas, en France, extrêmement développées. Tout cela relève de la responsabilité politique, à savoir le contrôle du pouvoir exécutif (surtout du gouvernement) par le Parlement. Il y a évidemment le débat public, les questions au gouvernement, et éventuellement le dépôt d'une motion de censure. Mais l'arme la plus adéquate est celle de la commission d'enquête parlementaire.

Celle-ci a fait l'objet, en 2008, d'une consécration constitutionnelle avec l'article 51-2 de la Constitution. On observera néanmoins que «la loi d'application» prévue par l'art. 51-2 n'a toujours pas été adoptée (le projet n'est même pas déposé), A la suite de cette réforme constitutionnelle de 2008, la modification des règlements des chambres a eu pour effet d'opérer une extension des droits de l'opposition: un groupe de l'opposition peut obtenir, une fois par année parlementaire, la création d'une commission d'enquête sur un sujet choisi par lui, et où le président ou le rapporteur doit appartenir à l'opposition.

Mais la limite d'une commission par an est assez draconienne puisqu'elle laisse à la majorité parlementaire le droit de s'opposer à la création d'une commission d'enquête si le groupe d'opposition a déjà utilisé son droit de tirage. Dans le cas de l'affaire ici en cause, la difficulté est technique car elle procède de la fin de session parlementaire.

On a vu plus haut la limite du pouvoir d'investigation d'une telle commission sur les agissements des conseillers de l'Elysée. Mais leur immunité qui a été consacrée, à tort à mon avis, repose sur une autre immunité qui a été celle reconnue au président de la République. Ici, le précédent décisif a été celui de la reconnaissance par M. Mitterrand d'une telle immunité au bénéfice de son prédécesseur, M. Giscard d'Estaing, à propos de l'affaire des «avions renifleurs». C'est une extension indue de l'irresponsabilité politique du Président qui était la règle sous l'empire de l'ancien article 68, abrogé en 2007.

Il est clair que le contrôle exercé par les parlementaires sur l'action des gouvernants est globalement insuffisant, ce qui explique en partie la révision constitutionnelle de 2008 qui est censée permettre un meilleur contrôle. Il est encore trop tôt pour savoir si cette réforme portera ses fruits, mais les premiers signes ne sont pas tous encourageants.

De manière plus générale, cette affaire permet de s'interroger sur le rôle des contre-pouvoirs sous la Ve République. Que vous inspirent les violentes prises à partie de la presse?

Le juriste n'a pas grand-chose à répondre à la dernière question car c'est le citoyen qui devrait plutôt répondre. Toutefois, on ne peut pas oublier la dimension politique de la liberté de la presse. Tous les grands auteurs libéraux en ont souligné l'importance; il suffit de citer le nom d'un immense auteur, Benjamin Constant, qui en faisait l'un des fondements du constitutionnalisme.

De même, la Cour européenne des droits de l'homme n'a jamais manqué de souligner le caractère politique de cette liberté et a toujours eu une interprétation très libérale de cette liberté. Il n'y a pas de démocratie qui puisse fonctionner sans une liberté de la presse reconnue et consacrée.

De nos jours, qu'on le veuille ou non, la presse remplace en partie le Parlement dans ce rôle de «chien de garde» de la démocratie. Il faut évidemment, en contrepartie, que la presse n'abuse pas de son pouvoir, qu'elle ne commette pas des délits du type de l'injure ou de la diffamation. Le juge judiciaire est là pour opérer cette difficile conciliation entre les exigences de la liberté de la presse et les droits des individus soumis aux investigations de la presse. On peut ainsi répondre à la première partie de votre question en affirmant que la presse constitue l'un des principaux contre-pouvoirs dans les démocraties contemporaines.

Et si la campagne avait été financée illégalement ?

Dans quelle mesure la responsabilité du chef de l'Etat pourrait-elle être mise en cause ?

J'ai en partie déjà répondu à cette question. Il faut encore une fois distinguer selon qu'on est dans le cas d'une responsabilité politique ou d'une responsabilité pénale.

Dans le premier cas, le système actuel de la Ve République souffre d'une faille béante qui est la disproportion manifeste entre les pouvoirs concentrés par le président de la République (je préfère cette expression à celle de chef de l'Etat) et à son équipe et son irresponsabilité politique de principe (qui découle de la nature parlementaire du régime).

On a progressivement pris conscience de cette incohérence due au fait que, dans notre régime à la fois parlementaire (droit écrit) et présidentialiste (dans les faits), le principal gouvernant, c'est-à-dire le président de la République, est politiquement irresponsable. Le rapport de la commission Avril (2002) a proposé d'accepter une exception à l'irresponsabilité politique et c'est ce rapport qui a donné lieu à la révision du 23 février 2007 (nouvel article 67) que M. Chirac a fait adopter juste avant son départ de ses fonctions.

Cette prise de conscience d'une difficulté à mettre en œuvre une quelconque responsabilité du président de la République a été accélérée par l'immunité pénale accordée au président par la chambre criminelle de la Cour de cassation en 2001 (affaire Chirac contre Breisacher). On aborde ici la responsabilité pénale.

On ne peut pas dire que le président de la République est irresponsable pénalement ; il vaut mieux dire qu'il jouit d'une immunité qui, procéduralement, interdit la mise en jeu de sa responsabilité pénale. Pendant l'exercice de son mandat, il est protégé contre toute poursuite pénale pour des faits commis aussi bien dans le cadre de ses fonctions qu'en dehors de ses fonctions (notamment pour des faits commis antérieurement à ses fonctions).

S'il s'avérait que la campagne avait été financée illégalement, quelles pourraient être les conséquences juridiques?

Je raisonne ici encore uniquement à partir du droit en vigueur.

Il faudrait évidemment distinguer selon les personnes qui seraient mises en cause. Si les personnes mises en cause sont des parlementaires, elles sont protégées par leur immunité (art. 26, Constitution) mais dont la portée a été réduite par la révision d'août 1995. Elles peuvent faire l'objet de poursuites judiciaires sans autorisation du Parlement. Pour les actes privatifs de liberté (garde à vue, arrestation) ou restrictifs (contrôle judiciaire), il faut une levée de l'immunité par l'assemblée compétente.

Pour les hommes politiques qui ne sont pas parlementaires, les ministres ou anciens ministres par exemple, c'est le droit commun qui s'applique. Il y a un précédent fameux, c'est celui de la condamnation d'Alain Juppé le 1er décembre 2004 (un an d'inéligibilité) pour des faits commis lorsqu'il était adjoint aux finances de la mairie de Paris. C'était un cas de financement illégal de partis.

Pour ce qui concerne, enfin, le président de la République, les conséquences juridiques seraient probablement limitées dans la mesure où il est protégé, pendant l'exercice de son mandat, par son immunité qui est prévue par le nouvel article 67 de la constitution, résultant de la révision opérée par la loi constitutionnelle du 23 février 2007.

Cet article contient les deux formes classiques de l'immunité que l'on a transposées des immunités parlementaires à l'immunité présidentielle. D'une part, il reconnaît une irresponsabilité pour les actes accomplis dans l'exercice des fonctions, cette irresponsabilité n'étant pas seulement fonctionnelle car elle dure après la perte du mandat présidentiel; mais le critère déterminant reste le fait que les actes ou actions commises se trouvent dans le périmètre de l'exercice des fonctions. C'est pour cette raison que M. Chirac a pu invoquer l'article 67 dans les affaires Borrel et Clearstream qui ne sont pas sans rapport avec l'exercice de ses fonctions.

L'article prévoit la double exception de l'article 53-2 – qui recouvre les hypothèses de crimes graves prévus par le traité sur la Cour pénale internationale – et de l'article 68 (nouveau) – qui prévoit une responsabilité politique exceptionnelle. D'autre part, l'article 67 consacre une inviolabilité pour les actes accomplis par le Président en dehors de l'exercice de ses fonctions. Une telle inviolabilité est temporaire et s'achève avec la fin des fonctions présidentielles, ce mécanisme étant rendu possible par la suspension du délai de prescription ou de forclusion.

Selon l'article 67 alinéa 3, le Président peut alors faire l'objet d'instances et de procédures judiciaires «à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions». C'est ainsi que M. Chirac a été mis en examen le 21 novembre 2007, pour «détournement de fonds publics» à propos de l'affaire des chargés de mission de la Ville de Paris.

Les conditions de la destitution du président

A défaut d'une loi organique prévue mais pas adoptée, l'article 68 de la Constitution peut-il être appliqué?

C'est une question très délicate et qui, si elle devait devenir d'actualité, poserait un beau cas aux juristes. Le nouvel article 68 de la Constitution (révision du 23 février 2007) innove en instaurant une responsabilité présidentielle en substituant à la notion floue, politico-pénale de «haute trahison», la notion de «manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat».

Désormais, le chef de l'Etat peut être destitué par le Parlement si cette condition du manquement est jugée remplie deux fois par une majorité qualifiée (2/3) de parlementaires, une première fois dans chacune des assemblées et une seconde au sein du Parlement (les deux chambres réunies) constitué en Haute Cour. La faute non pénale du chef de l'Etat pourrait donc aboutir à une sanction purement politique, la destitution, sanction dont le Président peut, en quelque sorte, faire appel en se représentant aux suffrages de la nation.

Mais le problème vient de ce que cet article 68 renvoie à la loi organique le soin de «fixer les conditions d'application» (alinéa 4) de la responsabilité politique introduite par les trois précédents alinéas du même article. Or, cette loi organique n'a toujours pas été adoptée, plus de trois ans après la révision de 2007. Le gouvernement a préféré faire adopter toute une série de lois organiques rendues nécessaires par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 sur la modernisation des institutions.

Deux sénateurs socialistes, MM. Badinter et Patriat, s'en sont étonnés et ils ont en octobre 2009 déposé une proposition de loi organique mais leur démarche n'a pas abouti, ce que l'on peut regretter si l'on tient à l'Etat de droit et à l'effectivité de la Constitution.

Faute de loi organique, on peut penser que la révision de 2007 et donc l'article 68 ne seraient pas applicables en droit positif car il manquerait le cadre normatif prescrivant les conditions d'application de cette responsabilité politique exceptionnelle. Il me semble, néanmoins, que l'on peut démontrer l'inverse, et que la carence du législateur organique pourrait être surmontée par un Parlement si celui-ci décidait, avec la majorité requise, qu'il y aurait lieu d'engager une telle procédure de destitution.

La démonstration est un peu technique et je renvoie le lecteur intéressé à un article publié sur cette question (O. Beaud, «La mise en œuvre de la responsabilité politique du Président de la République française peut-elle être paralysée par l'absence de la loi organique prévue par l'article 68?», in Le chef de l'Etat en droit comparé, Société française de législation comparée, 2009, pp. 149-184).

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